Quelques écoulements de petites échelles
dans le noyau liquide terrestre

Emmanuel Dormy


HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES EN SCIENCES

Université Paris VII - Denis Diderot


18 novembre 2002





De nombreux modèles numériques de dynamo ont récemment été proposés. Ces modèles concernent des régimes de paramètres extrêmement éloignés de ce que l'on connaît des caractéristiques du noyau liquide terrestre. Utilisant des approximations diverses, ils donnent des résultats souvent extrêmement différents entre eux bien qu'ils semblent produire, en surface, des champs magnétiques comparables à celui de notre planète. Il faut donc travailler à la réalisation de modèles numériques plus proches des équilibres significatifs de la Terre.

Le noyau liquide terrestre est caractérisé par une très faible viscosité et un équilibre dominant entre deux forces majeures : les forces magnétiques (force de Laplace) et les effets de la rotation (force de Coriolis). Mon objectif est de parvenir à la description de l'action dynamo (génération auto-excitée de champ magnétique) pour cet équilibre. Les modèles actuellement disponibles souffrent tous d'une valeur très largement surestimée de la viscosité. Il a été montré (Roberts, Academic Press, 1978) que dans le régime asymptotique des faibles viscosités, la séquence de bifurcation lorsque le paramètre de contrôle (le nombre de Rayleigh) croît est décrite par trois branches successives. La première bifurcation est naturellement la bifurcation convective (sans champ magnétique), cette bifurcation serait sous-critique (Soward, Geophys. Astrophys. Fluid Dyn., 9, 1977). Si le nombre de Rayleigh est encore augmenté les mouvements deviennent assez vigoureux pour entretenir un champ magnétique (bifurcation dynamo). Ce champ est alors faible, c'est-à-dire que son intensité est fixée par les forces visqueuses. Si le nombre de Rayleigh est encore suffisamment augmenté cette branche disparaît et la solution dynamo "saute" via une croissance rapide du champ ("runnaway growth") sur une branche à champ fort. Cette branche est caractérisée par un équilibre magnétostrophique et correspondrait au mécanisme en jeu dans le noyau de notre planète. La solution sur cette branche doit différer significativement de celle sur la branche à champ faible. Ainsi, une fois sur cette branche, l'action dynamo peut être maintenue même si le nombre de Rayleigh est diminué en dessous de sa première valeur critique (correspondant à l'instabilité convective). Ce scénario théorique n'a bien sur de sens que si la viscosité est très faible (quasiment négligeable) et il n'a jamais pu être vérifié sur les études numériques. Fort de ces considérations théoriques, mon objectif est de décrire l'action dynamo dans le régime magnétostrophique applicable au problème géophysique. L'approche utilisée consiste à étudier des problèmes de complexité croissante en s'assurant à chaque étape que le comportement asymptotique à été atteint.

Nous avons mis en évidence (voir Dormy, Jault, Cardin, 1998) l'existence d'une nouvelle structure correspondant à une couche de cisaillement en super-rotation. Nous avons depuis obtenu avec le professeur Andrew Soward (Département de Mathématiques, Université d'Exeter, Grande-Bretagne) la description mathématique de ce nouvel équilibre "magnéto-visqueux" (Dormy, Jault, Soward, 2001). L'étude asymptotique a mené à un système couplé d'équations différentielles (à deux dimensions) qui n'a pas pu être résolu analytiquement. La résolution numérique des équations du système discret correspondant a été obtenue (sur le Cray du C.C.R. Jussieu). L'accord avec les simulations est à présent excellent.

Devant la récente abondance des modèles numériques de dynamos publiés (voir Dormy et al. 2000), le professeur Ulrich Christensen de l'Université de Göttingen en Allemagne a proposé de coordonner un "benchmark" international autour de cas tests afin de vérifier la validité des différents codes existants. Les chercheurs français sur ce domaine (à Paris et à Grenoble) n'avaient pas souhaité présenter de modèles numériques de géodynamo (essentiellement car nous pensons, pour les raisons exposées ci-dessus, que ces régimes de paramètres ne sont pas appropriées à l'étude de la dynamo terrestre). Nous avons cependant voulu saisir cette occasion de valider notre code sphérique. Les modifications nécessaires ont donc été apportées au programme avec l'aide de Julien Aubert (qui a effectué sa thèse à Grenoble). Nous avons reproduit avec succès les résultats demandés pour ce Benchmark (Christensen et al. 2001).

L'interaction avec les observations paléomagnétiques, archéomagnétiques et géo-magnétiques est très importante pour l'étude de ces problèmes. Les connaissances sur le champ magnétique terrestre et sa variabilité temporelle ont considérablement progressé ces dernières années. J'ai efectué avec Jean-Pierre Valet et Vincent Courtillot un travail de revue sur les connaissances observationnelles du champ magnétique terrestre ainsi que sur les modèles numériques existants (Dormy et al., 2000).

La collaboration avec les équipes de mathématiques appliquées françaises (Emmanuel Grenier, à présent à l'U.M.P.A. E.N.S.-Lyon et Benoît Desjardins à présent C.E.A./D.I.F.) se sont renforcées par l'obtention d'une ACI jeunes chercheurs (dont j'assure la co-direction pour la Géophysique avec Emmanuel Grenier pour les Mathé-matiques). Nos travaux en commun ont donné lieu à deux publications sur les critères de stabilité puis d'instabilité des couches limites à la frontière noyau-manteau. Une troisième étude utilisant les modèles de champ construit sur les observations est en cours. Nos collaborations s'élargissent actuellement aux outils numériques pour la modélisation de la géodynamo.